· 

ASSURANCES-VIE : RÉINTÉGRATION DES PRIMES MANIFESTEMENT EXAGÉRÉES

Les assurances-vie sont hors succession, de telle sorte que les capitaux d’assurances-vie existant au jour du décès et les primes qui y ont été versées depuis leur ouverture n’ont pas être réintégrés à l’actif de la succession.

 

Toutefois, si ces primes sont jugées manifestement exagérées par un tribunal, elles seront réintégrées à l’actif de succession. Si le bénéficiaire de l’assurance-vie est un héritier réservataire, les primes jugées manifestement exagérées viendront en déduction de sa part de réserve. S’il est un héritier non réservataire ou un tiers, lesdites primes seront réduites si elles dépassent la quotité disponible dont le défunt pouvait librement disposer.

 

Le caractère manifestement exagéré ou non des primes relève de l’appréciation souveraine du tribunal.

 

Sont ici présentés deux cas dans lesquels les primes ont été jugées non manifestement exagérées.


Jugement du 13 décembre 2022, Tribunal Judiciaire d’Evreux (confirmé par la Cour d’Appel de Rouen le 4 avril 2024) :

 

Extrait du jugement :

 

- Sur la demande de réintégration de primes d’assurance-vie à la succession :

 Selon l’article L 132-13 du Code des assurances, le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n 'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

 

Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré.

 

Lorsqu'elles sont manifestement exagérées au regard des facultés du souscripteur, les sommes versées à titre de primes d'un contrat d'assurance-vie constituent des libéralités dont il doit être tenu compte dans la liquidation de sa succession.

 

Le caractère manifestement exagéré des primes s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge et des situations patrimoniale et familiale du souscripteur.

 

En l'espèce, de son vivant, le défunt avait versé six primes sur un premier contrat d’assurance-vie :

  • 5.000 euros le 8 décembre 1998,
  • 4.500 euros le 13 février 2001,
  • 6.000 euros le 5 septembre 2001,
  • 47.000 euros 9 septembre 2002,
  • 13.500 euros le 2 février 2011,

II avait effectué un rachat partiel de 4.000 euros le 3 août 2016.

 

Le défunt avait par ailleurs versé quatre primes sur un second contrat d’assurance-vie :

  • 18.350 euros le 22 janvier 2009,
  • 73.000 euros le 8 janvier 2020,
  • 100.000 euros le 25 janvier 2020,
  • 25.000 euros le 20 janvier 2021.

Le souscripteur percevait annuellement des viagers de 12.000 euros et 15.000 euros, et le relevé de compte de février 2020 fait apparaître en crédit des fermages ce qui porte ses revenus bien au-delà de sa pension de retraite.

 

Au vu du patrimoine immobilier existant à l'époque des versements, les primes versées sur le premier contrat sont de montants non excessifs.

Le relevé de compte du 22 janvier 2021 fait apparaître un solde du compte espèces de 26.000 euros, et le relevé de compte de février 2020 fait apparaître un compte-espèces PEA faisant apparaître un achat de titres ce mois-là pour 30.000 euros. Par ailleurs, il apparaît qu'au 8 avril 2022, le souscripteur était propriétaire d'une parcelle et d'un bien acheté 210.000 euros le 6 novembre 2012. Le 31 octobre 2019, il vendait au défendeur, 11 parcelles évaluées à 200.000 euros.

 

Dans le cadre de la succession de son épouse en 2020, ces 11 parcelles et la maison commune du couple avaient été estimées, ensemble à 430.000 euros. Par soustraction, la maison peut être estimée à 230.000 euros.

 

Si le souscripteur a pu effectuer des versements importants sur le second contrat d’assurance-vie, ils apparaissent cohérents au vu des circonstances. Le versement de 73.000 euros fait immédiatement suite à la perception du capital décès dû suite à la mort de son épouse, et est immédiatement suivi d'un versement de 100.000 euros qui apparaît logique vu le solde du compte courant en janvier 2020, de plus de 187.000 euros. Le versement de 25.000 euros fait suite à la perception de l'annuité de viager, et un placement de liquidités sur un contrat d'assurance-vie est un acte usuel afin de générer un revenu au souscripteur.

 

Ainsi, les primes versées par le défunt sur ses contrats d'assurance vie ne sont pas manifestement exagérées eu égard à ses situations patrimoniale et de famille, et de son âge. Il n'est pas établi que le contrat soit dénué d'utilité pour lui.

 

A défaut d'être manifestement exagérées, les primes ne sont pas assujetties aux règles de protection de la réserve héréditaire. Ainsi, leur réduction ne peut pas être ordonnée. En conséquence, les demandes de réintégration des assurances-vie et de réduction des primes d'assurances-vie seront rejetées.


Jugement du 8 juillet 2024, Tribunal Judiciaire de Lisieux : 

 

 

Extrait du jugement :

 

- Sur la demande de rapport à la succession de l'assurance-vie :

 Selon l’article 843 du code civil, tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons faits par le défunt à son intention, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. Le texte ajoute que les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant.

 

L’article L.132-13 du code des assurances dispose que le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés, un tel caractère s’appréciant au moment de leur versement, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniales et familiale du souscripteur, et de l’utilité du contrat pour ce dernier. Le caractère manifestement exagéré des primes est souverainement apprécié par le juge, qui prend en compte l’ensemble du patrimoine du souscripteur, et pas seulement ses revenus.

 

Par principe, les règles gouvernant le rapport à la succession ne s’appliquent pas au capital issu d’un contrat d’assurance-vie. Toutefois, lorsque le montant de la prime versée sur le contrat est manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur, les héritiers peuvent demander la réintégration de l’intégralité de la prime dans la succession, et qu’elle soit soumise aux règles de succession.

 

En l’espèce, antérieurement à son décès la défunte avait souscrit un contrat d’assurance-vie, qui a pris effet le 14 novembre 2007.

 

Ce contrat d’assurance-vie a été alimenté par un premier versement de 10.000 euros effectué le 13 novembre 2007, puis de la somme de 108.000 euros versée le 07 janvier 2009 et 2.000 euros versés le 29 novembre 2019. En outre, la défunte avait réalisé un rachat partiel le 12 juillet 2017 pour un montant de 6.000 euros.

 

À l’appui de sa demande de rapport de l’assurance-vie à l’actif de la succession, la fille de la souscriptrice conteste le versement de la prime de 108.000 euros, considérant que celle-ci était exagérée au regard de la situation matérielle de sa mère lors de son versement.

 

Or en l’espèce, il ressort des éléments produits par les parties que lors du versement de la prime de 108.000 euros, le 07 janvier 2009, la souscriptrice était âgée de 76 ans, veuve depuis 2006 de son conjoint avec qui elle avait été mariée sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. Son conjoint lui avait fait une donation entre époux le 09 mars 1990, lui léguant la toute-propriété de l’universalité de ses biens au jour de son décès, en l’absence de descendants, ou la plus forte quotité disponible entre époux en cas d’existence de descendants. La souscriptrice avait réalisé, le même jour, une donation selon les mêmes modalités à destination de son mari.

 

Ledit mari avait hérité de son frère, le 04 septembre 1999, de deux biens immobiliers ainsi que différentes assurances-vie pour un montant total de 12.000 euros. La succession léguée était estimée, à 110.000 euros.

 

Il ressort des échanges de courriels produits par la demanderesse que les éléments concernant la succession du défunt mari n’étaient pas connus du notaire en charge de la succession de sa mère lors de son ouverture. Toutefois, il est acquis que celle-ci était redevable d’une créance à l’égard des ayants-droits de son défunt mari, laquelle n’était pas elle-même connue au stade de l’ouverture de la succession.

 

Selon les éléments produits par les parties, et notamment tel qu’il ressort de l’avis d’impôt de l’année 2020 produit en procédure, la souscriptrice percevait 1.450 euros par mois de pension de retraite.

 

En outre, elle était propriétaire d’un bien immobilier acquis en 1983 à 280.000 francs (environ 42.000 euros) et dont le montant était évalué lors de sa vente en viager le 28 juillet 2017 à 110.000 euros.

 

Enfin, elle était bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, qui avait pris effet le 15 août 1998, dont la valorisation du capital au 31 décembre 2007 était évaluée à 130.000 euros, et dont le cumul des cotisations versées depuis l’origine était de l’ordre de 110.000 euros. Le 14 octobre 2008, la souscriptrice avait demandé le rachat total de son contrat et le transfert des fonds sur son compte courant, soit environ deux mois avant le versement de la prime litigieuse.

 

La demanderesse soutient que ce contrat n’avait aucune utilité pour sa mère puisqu’elle n’avait programmé aucun rachat régulier de son contrat d’assurance-vie. Il est néanmoins acquis qu’elle a effectué un rachat ponctuel de 6.000 euros le 12 juillet 2017. Sur ce, la demanderesse ne démontre pas, contrairement à ce qu’elle prétend, que ce contrat n’avait aucune utilité pour sa mère, et qu’elle avait l’intention de se dépouiller de ses fonds.

 

La défunte avait souscrit de son vivant un deuxième contrat d’assurance-vie le 23 novembre 1999, dont le montant était valorisé le 10 mars 2021 à 42.000 euros, ses deux enfants en étant bénéficiaires.

 

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la prime litigieuse de 108.000 euros, ne peut être considérée comme exagérée au regard de l’ensemble du patrimoine de la souscriptrice à la date de son versement. En effet, cette prime a été versée sur le contrat d’assurance-vie le 07 janvier 2009, deux mois après avoir sollicité le rachat total d’un contrat d’assurance vie pour un montant estimé à 108.000 euros. Ladite assurance-vie a été alimentée ponctuellement entre 1998 date de son ouverture et 2008 date de son rachat. La modification de la situation financière postérieure à ce versement ne peut être prise en compte afin d’évaluer la disproportion de son engagement.

 

Par conséquent, il convient de débouter la demanderesse de sa demande tendant à caractériser le caractère manifestement excessif de la prime versée sur le contrat d’assurance-vie litigieux eu égard facultés de la souscriptrice.